Une nouvelle expertise collective de l’Inserm dédiée à la fibromyalgie a été publiée en octobre 2020. Conçu à la demande de la direction générale de la santé et très attendu par les associations de patients, ce rapport fait le point sur les connaissances relatives à ce syndrome, et notamment sur ses mécanismes physiopathologiques. Il ressort que, si beaucoup reste encore à découvrir, les chercheurs comprennent mieux les causes de ce trouble longtemps demeuré opaque. « Comme en fait état la nouvelle expertise collective Inserm – laquelle a permis d’analyser 1 600 travaux sur ce sujet publiés ces dix dernières années –, la recherche sur la fibromyalgie a permis plusieurs avancées majeures lors de cette dernière décennie. Lesquelles ont fait passer ce trouble de l’état de syndrome “médicalement non expliqué” qualifié par certains de “maladie imaginaire”, purement psychologique, à une maladie à part entière, potentiellement liée à des anomalies biologiques », s’est réjoui Didier Bouhassira, neurologue à l’hôpital Ambroise-Paré à Boulogne-Billancourt.
Les 7 et 8 mars 2024, le sixième congrès international « Controverses sur la fibromyalgie » a eu lieu à Bruxelles. Il a permis notamment de faire le point sur les avancées en matière de recherches des causes de la fibromyalgie et sur les propositions de traitements.
La fibromyalgie est une maladie complexe et multifactorielle. Voici les hypothèses de causes avancées et qui seront développées une à une ensuite :
1. Hypothèse psychique
2. Hypothèse neurologique centrale
3. Hypothèse neurologique périphérique
4. Hypothèse musculaire
5. Hypothèse de la mitochondrie
6. Hypothèse auto-immune
7. Hypothèse du microbiote
1. Hypothèse psychique
L’hypothèse purement psychique (« C’est dans la tête ») est dépassée, même si, malheureusement, certaines personnes, dont des médecins et des soignants restent fixés dessus. Bien que beaucoup de patients aient vécu des épisodes traumatiques, ce n’est pas le cas de tous. La pratique d’une thérapie cognito-comportementale ou de l’EMDR peut être une solution dans ce cas. De plus, l’efficacité des anti-dépresseurs qui sont proposés comme traitement (notamment la Duxolétine) se révèle très partielle dans le soulagement de la fibromyalgie. Ce qui fait qu’aucun médicament n’est référencé pour ce syndrome en Europe. Cependant, si dépression il y a, il faut la traiter, mais elle est souvent secondaire, donc consécutive à la maladie.
2. Hypothèse neurologique centrale
Notion de douleur nociplastique : Nous pouvons ressentir de la douleur si nous subissons une blessure physique à nos tissus ou nos articulations (DOULEUR NOCICEPTIVE) – les fractures et l’arthrite en font partie – ou si les nerfs chargés de transmettre les messages de douleur au cerveau sont endommagés (DOULEUR NEUROPATHIQUE). Dans les deux cas, la source de la douleur se voit. Ce n’est pas le cas avec la DOULEUR NOCIPLASTIQUE. La douleur nociplastique survient lorsqu’il y a distorsion de la transmission des messages de douleur dans le système nerveux. Une série de « boutons de commande » de ce système complexe de ramifications sont tournés au maximum et amplifiés par les molécules et les cellules qui aident les nerfs à se parler entre eux. Le système nerveux devient surstimulé.
Déséquilibre des voies de la douleur : la fonction douleur au niveau du cerveau et de la moelle épinière qui n’est pas bonne. Quelqu’un qui n’a pas mal est quelqu’un qui est en permanence entre douleur et non-douleur. Nous avons des fibres nerveuses, des substances qui transmettent la douleur et d’autres qui la court-circuitent (ex. quand on se frotte lorsqu’on s’est cogné). Dans la fibromyalgie, il y a un déséquilibre permanent qui fait que la douleur est toujours là et que la non-douleur n’arrive pas à compenser. Ce qui explique qu’on puisse souffrir de n’importe quelle partie du corps de façon variable, lancinante et quotidienne. Le corps est en bon état mais la fonction douleur, elle, n’est pas au point.
Aujourd’hui, on peut voir que l’imagerie fonctionnelle cérébrale des patients atteints de fibromyalgie est perturbée (IRM, Tep Scan) : certaines zones qui fonctionnent trop (lobes latéraux) et d’autres ne fonctionnent pas assez (lobes frontaux), ce qui provoque un déséquilibre. Ceci est, enfin, un ELEMENT OBJECTIF spécifique à la fibromyalgie !
On peut également observé l’inflammation de la glie (Les cellules gliales enveloppent les neurones) : une micro-inflammation se voit si on fait des biopsies.
L’hypersensibilisation centrale (système d’alarme) est une notion d’après-guerre, mais toujours d’actualité. Il s’agit de l’hypothèse du système nerveux hyper-activé donc sensible à tout… Or, on a des nerfs partout et, dès qu’il y a stimulation, celle-ci est amplifiée, car les nerfs dysfonctionnent (toucher, bruit, lumière, émotions, aliments, médicaments, produits chimiques, ondes…)
3. Hypothèse neurologique périphérique
La neuropathie des petites fibres concerne 50% des patients fibromyalgiques.
Les douleurs neuropathiques provoquent des élancements, des sensations de brûlure ou de picotement…
Si l’on effectue des biopsies comparatives entre le haut de la cuisse et l’extrémité des pieds, par exemple, on peut constater la raréfaction des petites fibres des extrémités.
Dans la neuropathie à petites fibres, on retiendra que l'électromyogramme (EMG) est normal. Cet examen peut être réalisé, mais uniquement pour éliminer les autres atteintes, touchant les grosses fibres, en cas de doute avec une autre neuropathie.
Par contre, le Sudoscan en permet l’identification.
4. Hypothèse musculaire
Dans la fibromyalgie, des régions spécifiques du muscle sont souvent sensibles lorsqu'une pression ferme est exercée. Ces régions sont appelées « points sensibles ». Lors des poussées, des contractions ou des spasmes musculaires peuvent survenir. Les douleurs ressenties aux muscles ressemblent à celles que pourrait ressentir un marathonien en fin de course par manque d’oxygène.
Ces douleurs « musculaires » pourraient s’expliquer par l’accumulation de toxines (glutamate, pyruvate, lactate…). Des recherches sur le syndrome de fatigue chronique (SFC) et la fibromyalgie se sont tournées vers les niveaux anormalement élevés, dans ces deux syndromes, de lactate (ou acide lactique) dans le sang, les muscles et le cerveau. De quoi ces niveaux peuvent-ils être révélateurs ?
Le lactate, un sous-produit du métabolisme anaérobique de l'énergie (production de l'énergie qui ne requièrt pas d'oxygène), est ordinairement pompé hors des cellules en grande quantité pendant l'effort physique. Les niveaux élevés dans le SFC et la fibromyalgie, suggèrent que les besoins en énergie sont en grande partie comblés par la production d'énergie anaérobique (appelée glycolyse), qui est un système de production d'énergie « sale », peu productif avec des sous-produits toxiques, n'intervenant que lorsque le système de production d'énergie aérobie est épuisé.
Le lactate est normalement associé, chez les personnes en santé, à la douleur musculaire, à la fatigue et à d'autres symptômes après un exercice excessif.
Au cours des 10 dernières années, Benjamin H. Natelson du Mount Sinai Beth Israel (New York) et Dikoma C. Shungu du Weill Cornell Medicine ont documenté des augmentations importantes du lactate dans le liquide céphalo-rachidien des personnes atteintes du SFC ainsi que de fortes diminutions des taux de glutathion, un important antioxydant du cerveau. Ces deux constatations sont mises en relation dans leurs hypothèses sur les processus de la maladie.
Dans une étude récente, publiée dans la revue Fatigue : Biomedicine, Health and Behavior (FBHB), ils ont, avec leurs collègues, constaté que les niveaux de lactate dans la fibromyalgie étaient également élevés, ce qui n'était pas le cas chez les personnes en santé. Les auteurs croient que ces niveaux élevés sont susceptibles d'être un élément central des deux syndromes.
Dans la fibromyalgie, l'hypothèse serait que les niveaux de lactate dans le liquide céphalo-rachidien seraient causés par la neuroinflammation.
L’exercice physique adapté rend réversible cet état musculaire, raison pour laquelle l’ensemble des médecins le préconisent comme méthode efficace d’amélioration de l’état des patients fibromyalgiques.
5. Hypothèse de la mitochondrie
C’est la même hypothèse que pour le syndrome de fatigue chronique.
Mitochondrie : dans toutes nos cellules, il y a ces espèces de sacs avec double paroi (intérieure = circonvolution, extérieure = lisse) qui servent de chaudière, car il faut produire des molécules énergétiques (ATP) pour fonctionner. Elles sont générées par des réactions chimiques complexes à partir de l’oxygène, des aliments… Chez les personnes atteintes de fibromyalgie, il y a un blocage qui fait qu’il y a une réduction de la production de ces molécules.
Dysfonctionnement mitochondrial : Les mitochondries s’accumulent dans les muscles des patients. L’aspect de ces mitochondries est anormal. Il y a présence de marqueurs inflammatoires (ce qui explique les poussées fréquentes de tendinites, arthroses …) On observe un déficit en cytochrome C oxydase (un élément de la chaîne respiratoire) : c’est sur cet enzyme que va agir le cyanure. Ce serait les gaz de l’intestin qui ralentiraient cet enzyme. Ces anomalies sont rencontrées dans des maladies mitochondriales génétiques. On trouve également une accumulation de ribosomes (comme chez les animaux en hibernation = hypométabolisme : ralentissement de tout l’organisme)
Une étude de la peau révèle une réduction significative de l’activité de l’ensemble de la chaîne mitochondriale chez les personnes atteinte de fibromyalgie, une réduction du coenzyme Q10 (que l’on peut rectifier avec l’apport d’un complément alimentaire) ainsi que du taux d’ATP nucléaire. Par contre, on observe une augmentation significative des marqueurs de stress oxydatif et des cytokines (messagers du système immunitaire) inflammatoires. Il existe une corrélation très forte entre le taux de TNF α et l’intensité de la douleur.
6. Hypothèse auto-immune
En 2021, la piste auto-immune a été explorée. Si elle se révèle objective, cela permettra la mise en place de traitements spécifiques pour les cas les plus lourds.
On observe une association non fortuite de la fibromyalgie à d’autres maladies auto-immunes, comme le syndrome de Gougerot-Sjögren, le lupus, la sclérose en plaques ou encore la polyarthrite rhumatoïde.
Présence d’auto-anticorps dans le syndrome de tachycardie posturale (Les auto-anticorps sont des anticorps qui réagissent contre des éléments de son propre organisme, comme le muscle). L'auto-immunité correspond à un fonctionnement anormal de l'organisme, au cours duquel le patient doit lutter lui-même, contre ses propres défenses immunitaires.). Le syndrome de tachycardie orthostatique posturale (STOP) est un trouble hétérogène (dont les causes varient d'une personne à l'autre) du système nerveux autonome dans lequel le passage de la position couchée à la position debout provoque une augmentation anormalement importante de la fréquence cardiaque ou une tachycardie.
7. Hypothèse du déclenchement post-vaccinal
Un déclenchement post-vaccinal s'avère possible, mais n'est pas prouvé. Des chercheurs suédois et anglais se sont demandé si des auto-anticorps pourraient participer à l'émergence des symptômes clés de la maladie. Ils publient les résultats de leurs expériences menées sur des souris dans The Journal Of Clinical Investigation.
L'hypothèse présentée dans cette publication est la suivante : si des auto-anticorps, des IgG plus précisément, ont un rôle à jouer dans la fibromyalgie, des souris saines devraient développer les symptômes de la maladie si on leur en injecte. Elles ont donc reçu une injection de sérum issu de personnes atteintes de fibromyalgie et qui contient uniquement des IgG.
Les rongeurs ont développé les symptômes de la fibromyalgie suite à cette injection. Ils sont devenus plus sensibles au froid ou à des stimuli mécaniques, et ont perdu leur vivacité. À l'inverse, les sérums des personnes saines, ou ceux des malades dépourvus de leurs IgG, n'ont pas rendu les souris malades.
Comment agissent ces auto-anticorps ? D'après les conclusions des auteurs, ils n'activent pas les neurones sensoriels, mais se fixent sur des cellules gliales satellites, entre autres, localisées dans le ganglion spinal des souris. Des tests in vitro ont également démontré que ces auto-anticorps peuvent aussi s'y fixer chez l'humain.
Ainsi, les auto-anticorps isolés de patients atteints de fibromyalgie sensibilisent les récepteurs de la douleur situés dans le système nerveux périphérique. Ils deviennent hyper-réactifs aux stimuli et envoient des signaux de douleur au cerveau.
Des traitements visant à diminuer la quantité d'IgG dans le sérum, comme la plasmaphérèse, pourraient améliorer la vie des malades, souvent démunis.
Lors du Congrès international sur la fibromyalgie à Vienne en 2023, il a été fait mention d’un essai de transfert de globules blancs avec le même résultat : on a injecté des globules blancs (polynucléaires neutrophiles) de patients fibromyalgiques aux souris et les souris ont développés les mêmes symptômes.
8. Hypothèse du microbiote
Les bactéries intestinales sont très importantes pour la santé. Elles contribuent notamment à soutenir la digestion, la santé immunitaire et la production de certains nutriments. Cependant, si un trop grand nombre de bactéries du côlon et/ou le « mauvais » type de bactéries migrent vers l’intestin grêle, cela peut devenir problématique. En se multipliant dans l’intestin grêle, ces bactéries produisent des gaz (hydrogène ou méthane) qui peuvent être à l’origine de symptômes variés. Il peut s’agir de symptômes digestifs (maux de ventre, ballonnements, gaz, constipation, satiété précoce, nausées, diarrhée, urgence d’aller à la selle, alternance de diarrhée et constipation, etc.), mais aussi systémiques (fatigue, cerveau embrouillé après les repas, perte ou gain de poids, eczéma, douleurs articulaires, maux de tête, ulcères buccaux, dépression, etc.).
La plupart des troubles digestifs sont dus à un excès de bactéries dans l’intestin grêle provoquant des fermentations intestinales. On parle dans ce cas de SIBO. Ce terme signifie en anglais « small intestinal bacterial overgrowth » que l’on peut traduire en français par une pullulation bactérienne de l’intestin grêle. Depuis quelques années, la communauté médicale porte un intérêt grandissant pour le SIBO et les recherches dans ce domaine sont en forte augmentation. On découvre que le SIBO est à la base de nombreuses maladies actuelles. En effet, de nombreuses études médicales montrent que cette affection est associée à au moins une cinquantaine de maladies, dont la fibromyalgie.
En 2004, le docteur Mark Pimentel gastro-entérologue au centre médical Cedar-Sinai en Californie, publie une étude sur la pullulation intestinale chronique du grêle (SIBO). Un test respiratoire est réalisé pour vérifier l’hydrogène à jeun produit par les bactéries avec l’hypothèse que la surproduction de gaz est corrélée à la douleur. Normalement, on trouve peu de bactéries en début de tube digestif et beaucoup plus dans le côlon. Or, chez les personnes fibromyalgiques, on en trouve beaucoup dès le début. De 93 à 95 %des personnes atteintes de fibromyalgie seraient impactées et, chez 30%, on observerait des anomalies au niveau du rectum et de l’anus.
En 2019, dans une étude parue dans la revue Pain, des chercheurs de l'université McGill à Montréal décrivent des modifications du microbiote intestinal chez les personnes atteintes de fibromyalgie. L'étude a inclus 156 personnes dont 77 atteintes de fibromyalgie. Par rapport aux personnes en bonne santé, les changements concernaient une vingtaine d'espèces de bactéries qui étaient présentes chez les malades soit en plus grand nombre, soit en moins grande quantité.
Amir Minerbi, principal auteur de l'article, a expliqué avoir « fait une observation inédite, à savoir une corrélation directe entre la gravité des symptômes et la présence ou l'absence plus marquée de certaines bactéries. » L'analyse du microbiote intestinal des patients pourrait donc servir au diagnostic de la maladie. Cette équipe a encore franchi un pas important vers une meilleure compréhension du lien entre les bactéries intestinales et le syndrome en 2022.
Dans une nouvelle étude, elle a fourni les premières preuves que les personnes atteintes de fibromyalgie affichent des différences de quantités et d’espèces de bactéries intestinales métabolisant la bile et de concentrations d’acides biliaires dans le sang, comparativement aux personnes en bonne santé. Elle démontre également que certaines de ces différences sont corrélées à la gravité des symptômes. Ces résultats, publiés dans la revue scientifique PAIN, pourraient mener au développement d’outils diagnostiques et thérapeutiques pour les personnes souffrant de fibromyalgie.
En 2023 ; le docteur Minerbi a implanté le microbiote de patients fibromyalgiques à des souris. Il a été constaté un ralentissement et des douleurs chez ces animaux, ainsi qu’une dépression à long terme. Après antibiotiques et greffe fécale contrôle, les souris obtenaient la guérison.
Depuis quelques années, la recherche concernant la fibromyalgie progresse donc. Il a été notamment démontré que c’était une maladie « réelle » non psycho-somatique et bien une maladie lié à un dysfonctionnement du système nerveux autonome et d’un dysfonctionnement du contrôle des douleurs.
Cependant, aucun traitement propre à la fibromyalgie n’existera tant que les mécanismes exacts de ces dysfonctions n’auront été trouvés, mais des équipes de chercheurs se penchent enfin très sérieusement sur cette pathologie complexe.
Gardons l’espoir en des jours meilleurs et continuons ensemble le combat !
Article rédigé à partir de
Douleur chronique : Le puzzle de la fibromyalgie bientôt résolu ? · Inserm, La science pour la santé
Le microbiome révèle un nouveau secret de la fibromyalgie | Centre universitaire de santé McGill (cusm.ca)