« La mesure de l’amour est d’aimer sans mesure. »
Cette citation de Saint-Augustin m’accompagne depuis le début de mon adolescence. Et si mon fils s’appelle Augustin, ce n’est pas par hasard… Bien sûr, il y a « Le Grand Meaulnes », Bourvil dans « La grande vadrouille » ou le clown triste… mais c’est bien le philosophe et théologien avec sa citation qui m’a inspirée…
J’ai longtemps considéré que l’amour ne devait pas être enfermé dans des proportions, comme le sont les œuvres d’art. Pas de cadre pour le chef-d’œuvre de l’existence. Seules les vastes étendues vertigineuses de l’univers sont propres à accueillir l’amour… sans limite. Aucune. Ni d’un astéroïde qui perfore l’atmosphère, ni du vertige des abysses. Rien.
C’est ce que je croyais. Fermement. Que tout était à donner. Même l’impensable. Et que tout était à par-donner. Même l’inimaginable. Par amour.
Je ne pouvais pas calculer le calcul. Restait donc la place pour l’infini…
Sauf que l’infini à un coût. Et que le coût se chiffre. Quand il s’affole, parfois, cela fait des dégâts… Il existe des faillites amoureuses.
C’est à cela que je pensais - allez savoir pourquoi - quand, ce matin, je me suis rendue au point vert de la marche ADEPS à Casteau. Je m’y suis retrouvée seule. Et j’ai décidé, puisque je n’avais de mesure à mettre à mes pas que ma mesure à moi, que je bouclerais le circuit de 10 km.
Cela peut paraître beaucoup pour certains et très peu à d’autres. Tout est relatif. Comme l’amour, d’ailleurs.
Pour moi, 10 km, cela peut être peu au regard de ce que j’ai déjà expérimenté comme randonnées… et cela peut être beaucoup si l’on tient compte de mon état actuel et du temps qui a filé depuis mes dernières grandes expéditions…
Qu’à cela ne tienne, j’ai décidé, j’ai entamé… et j’ai fait.
Je suis passée par toutes les émotions : l’émerveillement devant les paysages somme toute communs mais subtilement beau de simplicité ; la quiétude d’entendre le bruissement des feuilles agacées par le vent ; la surprise impudique d’entrer dans la conversation de marcheurs qui me dépassent… mais aussi le plaisir de poser mes pas dans des chemins que j’avais déjà foulés dans d’autres circonstances… ou encore la fatigue, la douleur, le doute… la colère également par moment : de ressentir tout cela… et puis le second souffle, le courage, la détermination qui refont surface et qui me tire par la main … jusqu’au bout…
Je n’ai pas traversé que des villages. J’ai traversé une foule de sensations et de souvenirs. Dans la solitude, on se traverse souvent.
« La mesure de l’amour est d’aimer sans mesure. » Parfois, peut-être est-il bon de mesurer… de mesurer son amour à l’aune de celui de l’autre. De mesurer ses efforts en fonction de ses capacités…
La mesure de l’amour serait-il d’aimer en mesure ?
En mesure pour qu’un couple soit en harmonie ? En mesure pour que notre corps, notre esprit soient dans l’équilibre ? Comme en musique, en peinture ou en architecture, c’est peut-être donc une question de proportions…
Mais l’intérêt existe cependant à dépasser ses limites, à sortir du cadre, à explorer des impossibles qui se révèlent possibles…
J’ai découvert dans les dépassements des univers incroyables. Surtout à l’intérieur de moi. Ils me sont aujourd’hui des ressources importantes pour traverser les chemins remplis d’embûches qui se présentent à moi avec la maladie.
Faut-il mesurer ce que l’on donne ? Le restreindre à la mesure du don d’autrui ? faut-il calculer ses pas ? ses efforts ?
Tandis que je médite durant ma marche en solitaire, les paradigmes du chiasme de la citation se renverse… Pourquoi tout commencerait-il et finirait-il par la mesure ? Au centre se trouve l’amour… Et j’en reviens à l’essentiel… La mesure disparaît à nouveau…
Et si la question n'était pas comment aimer, mais qui?
La question du destinataire, alors, se fait urgente. Aimer qui ? Quel autre ? Pourquoi l’amour ressemble-t-il à un projectile ? Et si, comme un boomerang, l’amour me revenait de plein fouet ?
Au bout des 10 km de circonvolutions sur les chemins castellois, assise sur le fauteuil de ma voiture en train d’enregistrer une petite vidéo pour mes copines fibro, je vois mon visage… comme s’il était celui d’une autre…
Je me vois au centre de l’écran, fatiguée, certes, mais heureuse. Heureuse de ce temps accordé.
Je me regarde dans les yeux. Je suis mon Autre, mon hôte aussi. Il est temps que je m’habite, que je compte pour moi-même, que je me calcule… enfin… et que je ne mesure plus quand il s’agit de moi non plus…
Il est bon de donner. Il est bon de par-donner. A soi aussi. Autant qu’on le fait pour autrui. On est TOUS importants. Et dans le TOUS, il y a nous-m’aime. Dans l’idée d’un amour sans limite, on peut aussi s’inclure…
Je ne dirai jamais qu’il faut penser à soi d’abord. Je pense simplement qu’il faut penser à soi aussi. L’un n’exclut pas l’autre. Pas de soustractions… Tant qu’à se lancer dans les opérations, autant multiplier…