Quand j’étais enfant, mon père affirmait que « dans la vie, il y avait les forts… et les plus forts… ».
Du haut de mes trois pommes, déjà, je me posais la question de savoir où était la place de la faiblesse dans cette vie qu’il me présentait. J’ai toujours eu un penchant pour les faibles, les laissés pour compte. Cela m’a toujours révoltée, ce fossé entre ceux qui possèdent la force (souvent synonyme de pouvoir) et ceux qui en sont dépourvus. Mon père m’a inculqué que la volonté à elle seule suffisait à renverser la tendance : qu’on pouvait tout, y compris devenir fort, voire plus fort, si on le voulait réellement. J’avais fini par faire de sa maxime « Qui veut peut », une sentence plus implacable encore en lui ajoutant : «Cela ne se peut pas, cela se doit.» Je suis donc devenue adulte avec cette certitude que j’avais le pouvoir en moi de faire de la vie ce que je désirais…
J’ai désenchanté.
L’homme n’est pas maître de tout, il lui arrive de rencontrer des obstacles à la réalisation de ses projets. Une vie de couple, par exemple, se construit à deux. Pour qu’un couple fonctionne, les deux doivent consentir à des efforts. Mais la maladie est peut-être l’obstacle qui peut se présenter le plus cruellement à l’être humain, en dehors d’un autre être humain. La vie échappe à la volonté du malade jusqu’à en devenir le jouet.
Ainsi, la fibromyalgie m’a dévoilé un visage de moi-même que j’ignorais. Elle a défiguré mon propre reflet, me rendant étrangère à moi-même. Et cette part de moi révélée, j’ai dû l’apprivoisée, l’accepter, avec ses limites… et donc, ses faiblesses.
Et même si Niezsche affirmait « ce qui ne m’abat pas me rend plus fort » , je ne suis pas certaine que ce soit le cas pour tous sur la durée et à tous moments. Mais est-ce un mal ?
Pourquoi devrait-on être fort tout le temps ? Pourquoi ne pourrait-il pas y avoir de place pour la faiblesse ?
Accueillir notre faiblesse, à mon sens, c’est accepter notre humanité. Personne n’est toujours fort. Et c’est heureux. Nous ne sommes pas des dieux sans limites. Le croire est une utopie et refuser la réalité un danger. Toujours viser l’inaccessible étoile peut décourager les plus volontaires, épuiser les moins avisés… les rendre … moins humains…
Et si toucher notre part de faiblesse était l’occasion d’une profonde transformation, non en un être fort qui surpasserait les autres dans une course au toujours meilleur pour la première place, en un être simplement plus en phase avec lui-même et les autres ?
Et si la maladie devenait une opportunité à saisir (Que faire d’autre de positif de toutes façons ?) pour découvrir toute l’étendue de la faiblesse humaine : l’autre et sa différence qui le rend fragile car atteint lui aussi par une maladie, un handicap, un déficit quelconque, une limite intellectuelle, manuelle, financière, une malchance d’être né quelque part à un moment donné…
Unissons nos faiblesses : ce sera notre force !
Je crois que la course pour la première place du podium n’est qu’un jeu. Le véritable enjeu de la vie est le chemin à tracer ensemble pour arriver au bout du voyage.
On a longtemps cru que la compétition était la norme dans la nature : que seuls survivaient les forts. Aujourd’hui, de nouvelles investigations scientifiques nous révèlent que les êtres vivants survivent bien mieux s’ils tissent entre eux des liens de coopération. Toutes les grandes catégories d’espèces, des microbes aux plus grands mammifères en passant par les plantes s’entraident. C’est grâce à ce principe que la vie a pu atteindre un tel niveau de complexité et d’organisation.
Pourquoi l’être humain ne ferait-il pas preuve de la même intelligence ? Plutôt que de nous écraser, de nous juger, de nous critiquer, élevons-nous ensemble !